Les verres

1- La dégradation atmosphérique des verres du patrimoine : mécanismes et traitements de conservation

10 à 30% des objets d’art en verre conservés dans les musées européens présentent des signes de dégradation plus ou moins avancée, les étapes étant l’apparition de sels, puis la fracturation de la surface (crizzling), spécifique de l’altération atmosphérique. L’équipe a étudiés des moyens de conservation passant par une action directe sur la surface des objets dans le but de la stabiliser chimiquement face à l’attaque hydrolytique.

Le vieillissement contrôlé de verres représentatifs de compositions altérables du patrimoine, a montré que l’hydratation par voie atmosphérique est indépendante de la désalcalinisation, et qu’elle produit une pellicule dépolymérisée similaire aux hydrates de silicate alcalin ou alcalino-terreux (C-S-H) par ses signatures RMN (1H, 23Na) et Raman, et très différente du gel d’altération produit en milieu immergé. Le réseau très dense de liaisons H participe à la stabilisation de la pellicule et pourrait expliquer la rapidité de l’hydrolyse des liaisons Si-O-Si, par rapport à la solvatation des ions alcalins et hydroxydes et leur évacuation vers la surface. En effet, l’eau fortement liée perd une partie de ses propriétés de solvatation.

Nous avons étudié un traitement surfacique proche de celui appliqué empiriquement dans l’industrie, par dépôt d’une très faible quantité de sels de zinc. Lors du vieillissement, le sel de zinc réagit avec la surface en formant un sel alcalin et des complexes de zinc. Ces liaisons Si-O-Zn sont insolubles à pH neutre et rendent la surface moins hydrophile. Ce traitement stabilise la surface du verre sain mais son efficacité reste à démontrer sur les surfaces déjà altérées telles que celles des verres du patrimoine, difficiles à reproduire. Des travaux sont en cours dans cette perspective et sur des traitements analogues.

Thèse Fanny Alloteau, ED 397 – Physique et Chimie des Matériaux, allocation PSL, 2017. Collaboration : CEA-IRAMIS Saclay, IRCP-PCS, LISA-UPEC


Objet en verre atteint de fracturation ou « crizzling » par altération atmosphérique (Musée des Arts Décoratifs, Paris (inv. 23431), © C2RMF, A. Maigret, 2017). Cinétique d’hydratation d’un verre alcalin mixte (80 °C, 85 %HR) ; surface vieillie 72h montrant la fracturation et le détachement de la pellicule hydratée ; représentation structurale d’après RMN 1H, 23Na et 29Si.

Publications


[1] New insight into atmospheric alteration of alkali-lime silicate glasses

Alloteau, P. Lehuédé, O. Majérus, I. Biron, D. Caurant, Corros. Sci. 122 (2017) 12-25.

[2] Alteration mechanisms of ancient glass objects exposed to the atmosphere

Alloteau, V. Valbi, O. Majérus, I. Biron, P. Lehuédé, D. Caurant, T. Charpentier, A. Seyeux, in Glass atmospheric alteration : Cultural Heritage, Industrial and Nuclear glasses, I. Biron, F. Alloteau, P. Lehuédé, O. Majérus, D. Caurant (Ed.), Hermann, 2019, 230 pp. (à paraître).

2- Cristallisation dans les glaçures du patrimoine et autres verres silicatés

Très fréquents dans notre environnement depuis environ 6000 ans, les matériaux vitreux sous forme d’objets massifs ou de glaçures sur céramiques sont thermodynamiquement hors équilibre. Elaborés par fusion suivie d’un refroidissement, ils peuvent présenter une cristallisation partielle en leur sein ou aux interfaces [1]. Généralement, la présence de cristaux est considérée comme un défaut susceptible d’altérer la transparence, les propriétés mécaniques et la durabilité chimique, mais les tentatives réalisées depuis le 18ème siècle afin d’en tirer bénéfice ont abouti dans la seconde moitié du 20ème siècle à la mise au point des vitrocéramiques. Concernant les objets du patrimoine (céramiques glaçurées, objets en verre), l’étude de ces cristaux peut renseigner sur les procédés d’élaboration (marqueurs de température) mis en œuvre par les artistes et les artisans.

Les céramiques glaçurées de Bernard Palissy (1510-1590) à la Renaissance constituent une thématique de recherche de l’équipe. Les cristallisations observées dans ses glaçures à base de silicate de plomb riches en oxyde de fer ont été comparées à celles d’échantillons de composition identique synthétisés en faisant varier différents paramètres (mélange glaçurant, température de palier, vitesse de refroidissement) [2]. Les cristaux à base de fer (hématite, mélanotékite, magnétoplombite) et le feldspath de plomb à l’interface pâte-glaçure ont révélé que Palissy aurait utilisé une fritte de verre finement broyée, puis déposée sur la céramique et cuite vers 925 °C durant environ 2 h.

      D’autres études portent sur des cristallisations riches en terres rares, molybdène ou phosphore lors de l’élaboration des verres borosilicatés complexes destinés au confinement de déchets radioactifs (collaboration CEA) [3,4] et sur des verres de composition simples renfermant des terres rares [5]. Dans tous les cas, la démarche consiste à comprendre l’effet des changements de composition du verre sur sa structure et sa tendance à la cristallisation. Dans le cadre des vitrocéramiques industrielles, la cristallisation de verres silicatés de complexité croissante est également suivie par spectroscopie d’impédance.       

Thèse Hélène Trégouët, ED 397 – Physique et Chimie des Matériaux, allocation DIM OXYMORE, 2015

Thèse Gauthier Roisine, ED 397 – Physique et Chimie des Matériaux, allocation DIM OXYMORE, 2018

Collaborations : Corning (Avon), CEA Marcoule, CEA-IRAMIS (Saclay)

Gauche : tesson de céramique glaçurée de Bernard Palissy et cliché MEB montrant la présence de cristaux de feldspath de plomb à l’interface glaçure-pâte. Droite : cristallisation de phases riches en Mo et P dans des verres de stockage pour déchets nucléaires.

 

Publications


[1] From glass to crystal. Nucleation, growth and phase separation: from research to applications

Neuville, L. Cormier, D. Caurant, L. Montagne, EDP Sciences, ISBN 978-2-7598-1783-2, Les Ulis (France) (2017).

[2] The art of Bernard Palissy (1510-1590): influence of firing conditions on the microstructure of iron-coloured high lead glazes

Roisine, N. Capobianco, D. Caurant, G. Wallez, A. Bouquillon, O. Majérus, L. Cormier, S. Gilette, A. Gerbier, Appl. Phys. A. 123 (2017) 501.

[3] ZrO2 addition in soda-lime aluminoborosilicate glasses containing rare earths: Impact on the network structure

A. Quintas, Caurant, O. Majérus, P. Loiseau, T.Charpentier, J.-L. Dussossoy, J. Alloys Compd. 714 (2017) 47.

[4] Thermal stability of SiO2-B2O3-Al2O3-Na2O-CaO glasses with high Nd2O3 and MoO3 concentrations

Chouard, D. Caurant , O. Majérus, N. Guezi-Hasni, J.-L. Dussossoy, R. Baddour-Hadjean, J.-P. Pereira-Ramos, J. Alloys Compd. 671 (2016) 84.

[5] Exploration of glass domain in the SiO2-B2O3-La2O3 system

Trégouët, D. Caurant, O. Majérus, T. Charpentier, T. Lerouge, L. Cormier, J. Non-Cryst. Solids 476 (2017) 158.

3- Influence de l’addition de verre broyé sur les propriétés physico-chimiques des couleurs employées en peinture et polychromie

Depuis plus d’un siècle, les historiens d’art avaient relevé dans les traités anciens l’usage de particules de verre ajoutées aux pigments sans pour autant avoir d’exemple d’utilisation attesté à l’époque [1]. A partir des années 1970, l’observation de particules transparentes fut mentionnée de manière anecdotique dans des études de tableaux et de sculptures polychromes. Mais l’importance de cette pratique n’a véritablement été mise en évidence dans des corpus de peintures des XVe et XVIe siècles en Italie (Le Pérugin, Raphaël) que de manière relativement récente, dans les années 2003-2004 [2,3] puis par la suite dans les écoles germaniques, françaises et espagnoles [4,5]. Une utilisation récurrente a été également observée lors de l’étude au C2RMF d’œuvres de Léonard de Vinci du Musée du Louvre, en particulier pour le Saint Jean Baptiste et la Vierge, sainte Anne et l’Enfant Jésus. Les raisons de l’ajout de ce matériau invoquées soit au travers des recettes anciennes soit par les publications récentes restent cependant multiples et changeantes. L’ajout des grains de verre augmenterait la transparence de la couche ou pourrait agir sur la texture du mélange. Enfin, l’action siccative du verre est proposée par d’autres. Dans tous les cas, l’ajout du verre dans la peinture devait avoir un effet rapide pour le peintre.

Le but de cette recherche est donc d’étudier les modifications de comportement des couches peintes en présence de particules de verre broyé et de tenter de clarifier les multiples hypothèses avancées en caractérisant les propriétés physico-chimiques de peintures additionnées de verre broyé par le biais de reconstitutions.

Stage post-doctoral de Lucy Cooper, 2019

Publications


[1] A note on glass and silicia in oil paintings from the 15th to the 17th century

Lutzenberger, H. Steige, C. Tilenski, J. Cultur. Her. 11 (2010) 365-372.

[2] Original Treatises dating from the XIth to XVIIIth centuries on the Arts of Painting. P. Merrifield, London (1849).

[3] The painting technique of Pietro Vanucci called Il Perugino

Proceedings of the LabS TECH Workshop, edited by B. Brunetti, C.Seccaroni, A. Sgamelotti, Florence, 2003.

[4] Some New Discoveries and their Context within Early Sixteenth Century, 2004. Spring, in Raphael’s painting technique: working practices before Rome, Proceedings of the Eu-ARTECH workshop, edited by A. Roy, M. Spring, 2004.

[5] Colourless Powdered Glass as an Additive in Fifteenth and Sixteenth century European Paintings. Spring, National Gallery Technical Bulletin (2012) 4-26.